20

 

Non-axiomes.

 

Dans l’intérêt de la raison, chaque individu doit éliminer les « blocages » de son système nerveux. Un blocage est une perturbation sémantique en raison de laquelle des réactions adéquates cessent de prendre naissance. Des blocages peuvent fréquemment être éliminés par l’usage convenable de la réaction cortico-thalamique « retardée », par auto-analyse, ou par hétéro-analyse.

 

Il se trouva presque vaincu avant de pouvoir penser. L’effet de la force complexe était réellement plus considérable que lorsqu’il l’avait éprouvé dans son propre corps qu’il s’arrêta involontairement.

Il est possible que ceci l’ait sauvé à ce moment. Il dut rester immobile et il repensa à la vieille méthode de détente cortico-thalamique, méthode utilisée pour conditionner les néophytes.

« Je suis en train de me détendre, se dit-il à lui-même, et tous les stimuli parcourent l’ensemble de mon système nerveux, le long de ma moelle, jusqu’au thalamus, ils franchissent le thalamus, et parviennent au cortex, et traversent le cortex, et c’est à ce moment, à ce moment seulement, qu’ils repassent par le thalamus et reviennent au système nerveux.

« Et en permanence, je perçois ces stimuli à mesure qu’ils passent et repassent à travers mon cortex. »

Telle était la solution. Ceci constituait toute la différence qui séparait les surhommes Ā des hommes-animaux de la galaxie. Le thalamus siège des émotions et le cortex centre de la discrimination, intégrés, équilibrés dans une association étroite et merveilleuse. Des émotions non pas éliminées, mais enrichies et détendues par leur association avec cette part de la conscience, le cortex, capable de goûter un nombre infini de subtiles variations dans le flux des impressions.

À travers tout le palais, des hommes luttaient sans doute, pris d’une panique croissante, contre la force puissante qui les frappait. Une fois cette panique amorcée, elle se développerait jusqu’à l’hystérie. Et, de seconde en seconde, elle se développait. Les stimuli jaillissant à la vitesse de l’éclair d’un thalamus craintif, accélérant le cœur, la respiration, tendant les muscles, excitant les glandes – et chaque organe surexcité renvoyant en retour un nouveau stimulus au thalamus. Très vite, le cycle s’accélérait et s’intensifiait.

Et pourtant, il suffisait de s’arrêter un instant, de penser : « Le stimulus, en ce moment, traverse mon cortex. Je pense et je ne me borne pas à percevoir… »

Ainsi il accomplit pour Ashargin une pause cortico-thalamique totale.

La force complexe, cependant, continuait de lutter contre lui, et il se rendit compte qu’il faudrait faire très attention pour s’assurer que Ashargin ne succombât pas à un choc émotionnel imprévu.

Sans encombre, il courut jusqu’à l’appartement et fonça vers la chambre à coucher. Il savait dans quel état il allait trouver Nirène. Il laissa cette réflexion parvenir consciente à son esprit, de façon à ce qu’Ashargin sache à son tour et ne soit pas surpris. Comme il s’y attendait, Nirène reposait sur son lit, rigide et inconsciente. Elle s’éveillait apparemment au moment de l’attaque, car il y avait un air de stupéfaction horrifiée sur son visage déformé.

C’est son expression qui produisit un choc sur Ashargin – angoisse, inquiétude, peur – comme l’éclair, les émotions entrèrent en danse.

Comme l’éclair, le champ de forces s’imposa et s’empara de sa conscience.

Dans un effort désespéré, Gosseyn se jeta en travers du lit de façon à pouvoir se détendre. Sans résultat. Ses muscles se raidirent. Rigide, il gisait au pied du lit.

Il s’était demandé quel effet cela pouvait faire, et ce que sentait et pensait un individu sous contrôle. En réalité, cela n’avait rien de compliqué. On dormait.

Et il fit un rêve étrange.

 

*

 

Il rêva que le corps de Gosseyn, dans la châsse, se trouvait maintenant dans un état de réceptivité jamais atteint, et qu’en cet état de pleine inconscience, au milieu de la crypte des souvenirs, il arrivait à établir l’incroyable « rapport » enfin possible malgré son peu d’entraînement.

Les pensées ne venaient pas de Gosseyn, mais passaient à travers lui.

« C’est moi. La mémoire du passé… »

Le concept parvint à son esprit par l’intermédiaire du corps inerte.

« C’est en moi seule, la machine de la crypte, que restent les souvenirs de la Migration – et si je puis me souvenir, c’est en raison d’un accident.

« Toutes les machines furent endommagées lorsqu’elles passèrent à travers des nuages immenses de matière dont on ne soupçonnait pas l’énergie – et le résultat c’est que presque tous les souvenirs furent détruits. Ce qui préserva les miens, c’est qu’un circuit principal avait brûlé avant que le grand dommage pût survenir. Malgré les dégâts, la plupart des machines qui parvinrent au terme du voyage purent réanimer les corps qu’elles contenaient, car il s’agissait là d’une simple fonction mécanique. J’aurais pu réanimer le seul corps qui restait à ma garde, mais malheureusement, il se serait trouvé incapable de survivre. Et je n’ai pas le droit de détruire volontairement un corps avant sa mort. Ceux qui m’ont honoré au cours des années passées, ont oublié que leurs ancêtres parvinrent sur cette planète de la même façon que cet être humain qu’ils révèrent encore, sous le nom de Dieu Endormi.

« Les ancêtres arrivèrent privés de souvenirs, et, très vite, oublièrent les circonstances de leur arrivée. La lutte pour la vie, sévère, exigeait toutes leurs forces. Les vaisseaux qui les ont transportés gisent enfouis et oubliés sous le limon des siècles. J’atterris plus tard, et le mien n’est pas encore enterré.

« Partout, leurs descendants ont construit des images erronées de leur évolution fondée sur l’étude de la faune de leur nouvelle patrie. Ils ne se sont pas encore rendu compte que toute vie tend au mouvement, et que le mouvement à l’échelle du macrocosme est limité à un certain nombre de formes, et que la tendance à se tenir debout est partie intégrante de la volonté de mouvement d’espèces données.

« La Grande Migration fut entreprise à partir d’une hypothèse pas nécessairement exacte, mais jusqu’ici non infirmée. L’hypothèse selon laquelle le système nerveux humain, avec ses développements corticaux supérieurs, est unique dans l’espace-temps. Il n’a jamais été égalé et, si l’on considère toute sa complexité, ne le sera sans doute jamais… »

Deux corps – deux systèmes nerveux réagissant l’un sur l’autre – le plus puissant pénétrant le second selon la loi de similitude – la première image naquit alors, celle d’hommes qui observaient un point lumineux approchant du bord d’une substance d’ombre.

Ce qu’était cette substance, ni l’homme de la crypte ni la machine dont les vibrations se diffusaient à travers lui ne le savaient.

Un point lumineux, se mouvant lentement – et des hommes qui le guettaient, pensifs. Des hommes nés et morts des millions d’années auparavant. Le point brillant resta un instant au bord de l’ombre, et le franchit enfin.

Il disparut instantanément.

La structure de l’espace environnant se modifia légèrement. Il y eut une tension soudaine, qui introduisit une variation dans un rythme de base. La matière se mit à se transformer.

Une galaxie entière changeait son équilibre dans le temps, mais, longtemps avant la crise elle-même, le moment décisif était venu pour ses habitants. L’alternative semblait peu engageante. Rester et mourir, ou occuper une autre galaxie.

Ils savaient que le temps nécessité par un tel voyage allait bien au-delà des pouvoirs du génie mécanique ou humain. Au cours des âges, même les structures électroniques se modifieraient de façon essentielle et ne signifieraient plus rien en bien des cas.

Plus de dix mille millions de vaisseaux partirent, chacun avec sa châsse, chacune avec ses machines, complexes, prévues pour assurer le cycle vital de deux hommes et deux femmes pendant un million d’années ou plus. Ces vaisseaux, merveilleusement construits, s’envolèrent dans l’ombre à une vitesse voisine des trois quarts de celle de la lumière. Car il ne s’agissait pas de transports aux allures de la distorsion ; pas de matrices établies, pas de zones mémorisées sur lesquelles hommes et machines pouvaient foncer rapides comme la pensée. Tout ceci restait à élaborer peu à peu.

 

*

 

Encore une fois, le rêve changeait. Plus détendu, plus personnel. Cependant les réflexions qui naissaient ne s’adressaient spécialement ni à Ashargin ni à Gosseyn.

« C’est moi qui ai similarisé l’esprit de Gosseyn dans le corps d’Ashargin. Gosseyn possède le seul cerveau second de la galaxie, outre celui du Dieu Endormi – qui ne compte pas. Le Dieu pourrait sans doute être éveillé maintenant, mais certains mécanismes nécessaires à son développement sont restés hors de service pendant longtemps, si bien qu’il ne pourrait rester vivant plus de quelques minutes.

« Pourquoi choisir Ashargin ? Parce qu’il était faible. Par expérience, je sais qu’une personnalité plus forte aurait pu combattre consciemment la volonté de Gosseyn. Et sa présence à proximité fut également un facteur de ce choix.

« Le premier contact établi, peu importait, naturellement, qu’il se trouvât ou non au voisinage.

« Mais c’est pour une raison plus importante encore que Ashargin était la personne logique. Étant donné les plans d’Enro, le prince pouvait se trouver en position plus favorable que n’importe qui pour faire venir Gosseyn dans la crypte. Et, naturellement, il semblait raisonnable de croire qu’il pût être également utile à Gosseyn.

« À quel point la réussite est éclatante, vous vous en rendez compte si je vous dis que, pour la première fois, je viens de pouvoir raconter l’histoire de la Migration à un survivant direct de l’expédition.

Bien des fois j’ai tenté d’amener dans cette crypte un corps Lavoisseur-Gosseyn de la même façon que Gosseyn s’y trouve actuellement. Mais je n’ai réussi qu’à rendre méfiantes des générations successives de Gosseyn. Ma tentative précédente a eu des répercussions extrêmement dangereuses.

« J’ai réussi à similariser l’esprit du vieux Lavoisseur dans le corps du prêtre dont la tâche consistait à balayer cette salle intérieure. Mon dessein était de fournir à Lavoisseur une occasion de réparer les dégâts subis par des éléments vitaux de ma structure. Ce plan s’est montré impraticable, pour deux raisons. Primo, le prêtre n’était pas en mesure de se procurer le matériel nécessaire. Secundo, il ne s’est pas laissé « posséder ».

« D’abord, sa résistance n’a pas été trop grande, il y a eu du travail de fait, et Lavoisseur a pris une connaissance partielle de la nature des machines de la crypte. Par la suite, il est apparu regrettable que cette brève occasion se soit présentée. Car Lavoisseur a réparé un instrument sur lequel je n’ai pas d’action, un instrument qui déclenche la transformation de la matière qui causa la destruction de l’autre galaxie. Cet instrument avait été monté sur un vaisseau tous les dix mille, uniquement dans un dessein de recherche, et il intéressa Lavoisseur parce que rien de tel ne se trouvait sur le vaisseau qui l’avait transporté lui-même.

« Bien que Lavoisseur l’ait ignoré, l’instrument s’accorda automatiquement sur le corps du prêtre, résultat des précautions prises par ses constructeurs pour s’assurer qu’il est toujours sous le contrôle d’un être humain.

« Naturellement, ils supposaient que cet être serait l’un des leurs.

« À ce moment, il suffisait au prêtre de se penser déphasé dans le temps, et la modification, heureusement limitée, se produisait. En se servant de distorseurs, il pouvait diriger la matière d’ombre en n’importe quel point de la galaxie où il possède un distorseur.

« Lorsque la résistance du prêtre au contrôle de Lavoisseur devint trop grande, il fut nécessaire de rompre le contact. Ce qui s’ensuivit est quelque chose que j’admets ne pas avoir prévu. Lorsque le prêtre se remit de sa terreur devant ce qui s’était produit, il finit par croire qu’il avait été possédé par le Dieu Endormi.

« Son aptitude à revêtir la forme d’ombre parut confirmer sa croyance – et en un sens, naturellement, c’est du Dieu Endormi que lui vient cette faculté. Mais de la même façon que je suis le joueur qui a manipulé votre esprit, les vrais « dieux », les vrais joueurs, sont morts depuis près de deux millions d’années.

« Mais maintenant, vous allez bientôt vous éveiller. Votre position est délicate – vous avez un devoir à remplir cependant : tuer le prêtre qui possède ce pouvoir. Comment le ferez-vous lorsqu’il est sous sa forme d’ombre, je l’ignore.

« Vous devez le tuer pourtant.

« Et il ne me reste plus grand-chose à dire. Ashargin n’a qu’à passer dans un distorseur, je le délivrerai aussitôt du contrôle de Gosseyn, et Gosseyn s’éveillera. Ou Ashargin peut être tué, et l’esprit de Gosseyn retournera automatiquement à son propre corps. Ce sont les deux seules méthodes.

« Eldred Crang fut le confident de Lavoisseur ; voici quelques années, à la suite des renseignements fournis par Lavoisseur, il est venu ici et il a tenté de réparer une partie des dégâts de ma structure. À cette époque, il n’a pas réussi. Plus récemment, il a pu remettre en état un relais grâce auquel je suis en mesure de lui adresser des signaux sonores et lumineux – genre de signaux grâce auxquels je l’ai appelé ici au moment où Ashargin cachait le corps de Gosseyn.

« Un dernier mot. L’attaque dirigée contre le palais n’est qu’en apparence menée par la Ligue. En fait, c’est le prêtre qui a décidé de frapper de la sorte pour acquérir le pouvoir en discréditant Enro… »

Le rêve commençait à s’effilocher. Il tenta de le rattraper, mais tout disparaissait. Puis il s’aperçut qu’on le secouait.

Gosseyn-Ashargin ouvrit les yeux et vit Nirène.

Elle était pâle, mais calme.

— Chéri, Secoh est ici pour vous voir. Levez-vous, je vous en prie.

Il y eut du bruit à la porte de la chambre à coucher. Nirène recula lentement et Gosseyn put embrasser la scène du regard.

Secoh, le seigneur gardien du Dieu Endormi, venait d’entrer dans la pièce et le regardait d’un œil sérieux. Secoh, pensa Gosseyn, le prêtre autrefois balayeur de la salle intérieure du Temple.

Secoh, le Disciple.

Les joueurs du Non-A
titlepage.xhtml
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Van Vogt,Alfred E-[Le Non-A-2]Les joueurs du Non-A(1956).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html